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Permettez-moi, en tant que musulmane et Professeur de Civilisation française,
de porter à votre connaissance quelques éclaircissements sur certains
points, relatifs à votre souhait de voir adoptée, par le Parlement, une loi
anti-foulard. Car un souhait Présidentiel est, incontestablement, une
orientation implicite à toutes les institutions exécutives concernées :
1 - Le voile :
Le voile islamique n’est pas un « signe religieux ostentatoire », ni une
obligation cultuelle ou religieuse. C’est une obligation morale, relative à
la pudeur de la femme, inscrite dans les trois Religions monothéistes :
Ancien Testament :
Parlant des fières filles de Sion, Yahvé dit :
* « Ce jour-là le Seigneur leur ôtera (...) les vêtements de fêtes et les
manteaux, les écharpes et les bourses, les miroirs, les linges fins, les
turbans et les mantilles » ( Isaïe, 3 : 18-23 )
* « Et Rébecca, levant les yeux, vit Isaac. Elle sauta à bas du chameau et
dit au serviteur : « Quel est cet-homme-là, qui vient dans la campagne à
notre rencontre ? » Le serviteur répondit : « C’est mon maître » ; alors
elle prit son voile et se couvrit » (Genèse, 24 : 64-65 )
* « Alors, elle quitta ses vêtements de veuve, elle se couvrit d’un voile,
s’enveloppa et s’assit (...) Elle se leva, partit, enleva son voile et
reprit ses vêtements de veuve » ( Histoire de Juda et de Tamar, Genèse, 38 :
14-19 )
Il est bien clair que l’écharpe, le turban et le voile étaient d’usage pour
se couvrir la tête, et ils le sont d’ailleurs dans presque toutes les
civilisations. Jusqu’à nos jours, un juif pratiquant a le droit de divorcer
sa femme si elle sort de la maison la tête nue.
Nouveau Testament :
Saint Paul dit :
* « Si donc une femme ne met pas de voile, alors, qu’elle se coupe les
cheveux ! Mais si c’est une honte pour une femme d’avoir les cheveux coupés
ou tondus, qu’elle mette un voile » ( Première Epître aux Corinthiens, 11 :
6 )
Jusqu’au début du vingtième siècle, sortir en cheveux, c’est-à-dire la tête
nue, était une insulte en France ou, du moins, sortait des convenances ( cf.
le Grand Robert )
Le Qur’ân
* « Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de préserver leur
chasteté et de ne laisser voir, de leur parure, que ce qui paraît, et
qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs poitrines, et qu’elles ne laissent
voir leurs parures qu’à leurs maris, (...) » ( Sûrah 24, la Lumière, Verset
31 )
Partant du fait que le voile est déjà en usage, l’Islam ne fait que préciser
: couvrir le cou et le décolleté. Ce qui veut dire : un peu plus de tenue,
un peu plus de pudeur, pas d’exhibitionnisme ou de désinvolture. Si les
Françaises de confession chrétienne ont boudé leurs prescriptions
religieuses, cela ne veut pas dire imposer la même attitude aux Françaises
de confession musulmane, d’autant plus que les exceptions sont d’usage : Le
Canard Enchaîné du 7 mai 2003 relate qu’une exception à l’interdiction du
port du foulard sur les cartes d’identité a été accordée à la sœur Adalberta.
La même exception est accordée, dans le domaine politique, aux femmes de
confession musulmane représentant leurs pays en France. Un dialogue
équitable n’admet pas deux poids deux mesures.
D’un autre côté, ce Verset est la seule mention faite concernant le voile.
La Sûrah dans laquelle il figure, est la seule, parmi les 114 que renferme
le Qur’ân, qui commence par une précision distincte, disant : « C’est une
Sûrah que Nous Révélâmes, et Imposâmes, et y Avons Révélé des Versets
évidents» Ces Versets évidents, Révélés et Imposés, contiennent des
prescriptions cultuelles, telles : accomplir la prière, s’acquitter de la
Zakat ; des prescriptions morales, telles : la prohibition de l’adultère,
des fausses accusations, du mensonge ; ou des prescriptions de courtoisie et
de pudeur, telles : le port du voile, frapper à la porte avant de rentrer
dans une maison, demander permission avant de quitter, lors d’une
conversation, etc. Mais toutes ces prescriptions, malgré la variété de leurs
domaines, sont des obligations éducatives que les musulmans se doivent de
respecter, car le Qur’ân, comme vous le savez, organise la vie cultuelle et
sociale. Les deux sont inséparables. Et toutes ces prescriptions sont tout à
fait autre chose que les cinq piliers religieux de l’Islam qui sont : Les
deux parties de l’attestation de foi ( credo inébranlable du monothéisme),
la prière, la Zakat, le jeûne du mois de Ramadan et le pèlerinage.
Le fait de légiférer des lois qui imposent aux citoyennes françaises, de
confession musulmane, de désobéir à leur foi contredit les conventions
nationales des droits de l’homme, contredit l’article 10 de la loi française
d’orientation sur l’éducation, du 10 juillet 1989, et porte atteinte aux
acquis de la laïcité, sous l’égide de laquelle liberté, égalité et
fraternité ne sont point négociables. Quant à la main de Fatima, que vous
proposez comme seul signe admissible ou toléré de la part du gouvernement
français, cette fameuse main de Fatima est un symbole païen, un fétiche
contre le mauvais oeil ou un porte-bonheur, cela dépend des convictions de
chaque personne : Elle ne représente point l’Islam, comme la croix pour le
christianisme ou l’étoile pour le judaïsme. Il faut être chrétienne pour
porter la croix de Jésus, il faut être juive pour porter l’étoile de David,
mais n’importe quelle femme de n’importe quelle confession peut se couvrir
les cheveux par décence. Respecter les normes de sa confession n’est ni une
insulte ni un défi contre la République, du moment que cela ne touche en
rien au politique.
Et là il me semble devoir ajouter : si quelques gouvernements musulmans ont
éliminé le port du voile ou manquèrent à toute autre prescription islamique,
vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le Président, que cette déviation a
été imposée par le colonialisme. Elle se maintient sous le joug de la
dépendance politique et économique, et dans le cadre de l’évangélisation du
monde, décrétée par Vatican II.
Quant aux jours fériés, il est vrai que le calendrier scolaire en compte
déjà beaucoup, comme vous le dites, et vous pouvez facilement en réduire le
nombre, mais ce qui est étonnant, c’est de voir la France, la Laïque, agir
en vraie « fille aînée de l’Église » et continuer à célébrer, en de nombreux
jours fériés, des fêtes religieuses, à ne citer que Noël et Pâques, l’une
commémorant la naissance de Jésus, l’autre sa résurrection. Et cela, malgré
le fait que le 22 décembre 1993 le Pape Jean-Paul II reconnaît que le 25
décembre est une fête païenne. Il déclara : « Chez les païens de l’Antiquité,
on célébrait l’anniversaire du soleil invincible, ce jour-là, afin qu’il
coïncide avec le solstice d’hiver. Il a semblé logique et naturel pour les
chrétiens de remplacer cette fête par celle du seul Soleil véritable : Jésus-Christ
» Cela eut lieu au IVe siècle.
2 - La Laïcité :
Permettez-moi de demander, Monsieur le Président, est-ce que la laïcité en
France est si fragilement instaurée au point de vouloir la sauvegarder par
la création d’un observatoire ? Il me semble qu’il y a d’autres problèmes,
beaucoup plus urgents, qui nécessitent votre intervention, ainsi que celle
du Parlement, pour mettre vraiment en application les trois piliers de la
laïcité qui sont la liberté, l’égalité et la fraternité. A ne citer que
l’aggravation des inégalités ; la discrimination qui teinte l’espace public
en fonction des convictions personnelles ; l’image de l’Islam et des
musulmans dans les livres scolaires et universitaires ; pouvoir disposer de
lieux de culte convenables ; avoir accès au travail, comme les citoyens des
deux autres confessions ; avoir droit à un logement convenable ; à un
salaire non discriminatoire ; à l’éducation sans parti pris ; et surtout, de
préserver la minorité musulmane de cette vague d’évangélisation, qui bat son
plein, et que le Monde Diplomatique qualifia un jour, en parlant du pape
Jean-Paul II : « Il marche sur l’Islam avec un rouleau compresseur » !
3 - L’Islam :
L’Islam est une religion intégrale, qui ne connaît point de dogme
irrationnel, qui traite de tout ce qui concerne la société humaine. C’est
une religion et un système social, intrinsèquement liés en une juste mesure,
une législation Divine générale et un mode de vie, qui mettent l’accent sur
des principes fondamentaux, immuables, qui régissent la vie de l’homme dans
ses deux secteurs : le spirituel et le matériel. Une religion applicable en
tout temps et en tout lieu. Parler d’un « Islam de culture française » cela
veut dire : saper à long terme ! Ce qui porte atteinte aux principes de base
des droits de l’homme.
En insistant plusieurs fois, dans votre discours, sur les acquis de la
Révolution, et surtout sur l’égalité, il est décevant de voir qu’à trois
reprises vous signalez la présence du judaïsme, en parlant de l’innocence du
capitaine Dreyfus, de l’obligation de combattre l’antisémitisme, et de la
présence de la tradition juive, en France, depuis près de deux mille ans. Un
peu plus loin, vous faites allusion à la récente présence de l’Islam ! Là,
permettez-moi de demander : Pourquoi faut-il rabaisser le mérite ou la
présence de la civilisation islamique chaque fois que l’occasion se présente
? La vérité historique, réalité vécue, assure que cette présence est
beaucoup plus lointaine et elle est profondément enracinée. Aucun historien,
qui respecte sa probité scientifique, ne peut nier que la science et la
philosophie grecques ont été transmises aux Européens par l’intermédiaire
des musulmans. Le patrimoine intellectuel des Hellènes n’est parvenu à
l’Occident qu’après avoir été profondément et sérieusement étudié par les
savants de l’Islam et ses philosophes. La civilisation islamique s’est
étendue, en fait, d’une manière sensible à tous les domaines... « L’Horloge
à eau » offerte par le Khalife Haroun-el-Rachid à l’empereur Charlemagne,
n’a pas encore disparu des livres d’histoire.
En vous remerciant pour la lecture, je me permets d’ajouter : votre capital
de sympathie en Egypte et dans le monde arabe, sans parler des intérêts
réciproques, nous donne l’espoir d’une reconsidération de cette loi.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’hommage de mon profond respect.
Zeinab ABDELAZIZ
Le Caire, le 27 décembre 2003
Suite à la lettre ouverte
sur : La loi anti-foulard !