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Le samedi 24 mars 2007 Benoît XVI a fait un discours particulièrement
critique et alarmant, sur la construction européenne, à l'occasion du
cinquantième anniversaire des Traités de Rome. Un discours dans lequel il
donne suite à son intransigeante volonté de voir mentionnée la référence aux
racines chrétiennes de l'Europe dans la nouvelle Constitution.
Le pape commence par préciser que durant ces 50 ans, le continent européen a
parcouru un long chemin qui a conduit à la réconciliation des deux poumons,
l'Orient et l'Occident, "unis par une histoire commune mais arbitrairement
séparés par un rideau d'injustice" !..
Accusant l'Europe d'oublier son identité forgée par le christianisme, de
commettre une sorte "d'apostasie", terme particulièrement dur de la part
d'un pape, "apostasie de soi-même, plus encore que de Dieu", il se lance
dans une énumération de mises en garde révélatrices, signalant : le déclin
démographique ; l'acheminement sur une voie qui pourra porter l'Europe à
disparaître de l'histoire ; le processus même de l'unification, qui n'est
plus partagé par tous ; les chapitres du projet européen écrits sans tenir
compte de l'attente des citoyens ; la maison européenne qui ne peut être
construite si l'on oublie l'identité propre du continent ; soulignant
l'identité historique et morale avant d'être géographique, économique ou
politique ; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles
que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle
historique et fondateur dans les débats de l'Europe . Ces valeurs,
constituant l'âme du continent, doivent rester dans l'Europe du troisième
millénaire ; puis critique le pragmatisme qui finit par nier aux chrétiens
le droit même d'intervenir comme tels dans le débats public ; insiste sur la
sauvegarde, dans l'espace européen, du droit à l'objection de conscience,
chaque fois que les droits humains fondamentaux seront violés et, pour
terminer, met en garde de la mentalité "d'être assiégé, d'être une minorité"
!
Autrement dit : en reniant sa chrétienté, l'Europe commettrait un péché
mortel. D'un autre côté, encore plus de moyens pour cerner la présence de
l'Islam et des musulmans en Europe…
A la suite du discours : un message pour Berlin, dans lequel les évêques
demandent, précisément, une référence explicite à l'héritage chrétien du
continent, car "l'Eglise catholique doit accompagner, sur un mode critique
parfois, la construction européenne". Un message de Mgr Dominique Mambarti,
accuse le Parlement européen "d'attaques contre l'Eglise". Même tonalité
exprimée par Romano Prodi, qui a confié qu'il regrette lui-même l'absence de
référence aux racines chrétiennes européennes, en précisant que : "Ce qui me
préoccupe le plus dans la défense sereine et tranquille de nos propres
valeurs est la mentalité d'être assiégé, d'être une minorité, que je vois
également dans le monde chrétien"... De son coté, Angéla Merkel, protestante
et fille de pasteur, promet de rouvrir le débat sur ce sujet afin qu'il soit
fait mention des racines chrétiennes de l'Europe dans le projet de la
nouvelle Constitution, - ce que la France et la Hollande avaient déjà refusé.
Nul besoin de faire une analyse de texte pour voir l'étendu d'une
inébranlable volonté, concertée d'ailleurs, pour imposer la mention de
l'identité chrétienne et éloigner l'apport de l'Islam. Nul besoin d'être
exégète pour voir à quel point toutes ces données s'éloignent de la vérité
historique, ou pour placer ce discours dans l'ensemble de cette lignée de
textes et d'attitudes au cours desquels Benoît XVI, tout comme son
prédécesseur, insiste à éradiquer l'Islam et la civilisation islamique de
l'Europe ! Ce qui représente d'ailleurs une mise en pratique des décrets de
Vatican II, qui imposa l'évangélisation du monde !
Avec tout le respect dû aux connaissances théologiques et culturelles du
pape, ou au poste qu'il occupe, je me permets de dire, en tant que musulmane
et professeur de civilisation française, qu'il se trompe historiquement,
scientifiquement et spirituellement. Car l'Europe, ou plutôt tout l'Occident
dans son ensemble, a été édifié non seulement sur l'apport indéniable de
l'Islam, mais aussi sur la diversité d'autres cultures.
Il est manifestement reconnu, par tous ceux qui tiennent à la probité
scientifique de la documentation historique, que la tradition des musulmans
a profondément contribué à l'émergence de l'Europe et de l'Occident. C'est
grâce aux penseurs arabes que l'Europe a connu le rationalisme auquel le
pape a consacré sa conférence de Ratisbonne. Conférence au cours de laquelle
il a rappelé à ses auditeurs leur identité chrétienne, en passant carrément
à la tradition rationaliste grecque, pour déclarer que l'identité européenne
est chrétienne par la foi, grecque par la raison philosophique, sans oublier
de préciser que l'Islam, qui ignore la raison, est étranger à l'identité
européenne ! Est-il besoin de rappeler à sa sainteté que le premier mot de
la Révélation du Qur'âne est l'impératif du verbe lire ?! L'Islam incite à
la lecture, à l'étude, à la connaissance, à faire fonction de la raison et
n'incite point à l'obscurantisme.
On ne peut s'empêcher de voir dans tous ces textes, et surtout dans ce
discours, un message alarmant et périlleux à la fois, un message qui porte
atteinte à l'approche historique et à la définition de l'identité européenne.
Le choix des termes est profondément révélateur d'une intention prête à
tout, pour s'imposer, prête à tout, pour exclure l'Islam du patrimoine
européen!
Du point de vue historique, il serait peut-être utile de citer l'Historien
Dozy, qui écrit dans son Histoire des musulmans d'Espagne, en 1860, une
description profonde des évènements :
"La conquête arabe fut un bien pour l'Espagne : elle produisit une
importante révolution sociale, elle fit disparaître une grande partie des
maux sous lesquels le pays gémissait depuis des siècles (…) Les Arabes
gouvernaient selon la méthode suivante : les impôts étaient tout à fait
réduits par rapport à ceux des gouvernements précédents. Les arabes
enlevèrent aux riches la terre (qui, partagée en immenses domaines de la
chevalerie, était cultivée par des fermiers serfs ou des esclaves mécontents),
et la répartirent également entre ceux qui travaillaient le sol. Les
nouveaux propriétaires en obtinrent de meilleures récoltes. Le commerce fut
libéré des limitations et des lourdes taxes qui l'écrasaient, et se
développa notablement. Le Coran autorisait les esclaves à se racheter
moyennant un dédommagement équitable et cela mit en jeu de nouvelles
énergies. Toutes ces mesures provoquaient un état de bien-être général qui
fut la cause du bon accueil fait au début de la domination arabe." (t. II,
p. 43).
A quoi il serait intéressant d'ajouter une citation du grand écrivain
espagnol, Blasco Ibanez (1867-1928), qui porte témoignage pour son propre
pays :
"En Espagne, la régénération n'est pas venue du Nord, avec les hordes
barbares : elle est venue du Midi avec les Arabes conquérants (…). C'était
une expédition civilisatrice beaucoup plus qu'une conquête (…). Par là
s'introduisait chez nous cette culture, jeune, robuste, alerte, aux progrès
étonnamment rapides, qui, à peine née, triomphait ; cette civilisation qui,
créée par l'enthousiasme du Prophète, s'était assimilé le meilleur du
judaïsme et la science byzantine, et qui, au surplus, apportait avec elle la
grande tradition hindoue, les reliques de la Perse, et beaucoup de choses
empruntées à la Chine mystérieuse. C'était l'Orient pénétrant en Europe, non
comme les Darius et les Xerxès, par la Grèce qui les repoussait afin de
sauver sa liberté, mais par l'autre extrémité, par l'Espagne, qui, esclave
de rois théologiens et d'évêques belliqueux, recevait à bras ouverts ses
envahisseurs. En deux années, ceux-ci s'emparèrent de ce que l'on mit sept
siècles à leur reprendre. Ce n'était pas une invasion qui s'imposait par les
armes, c'était une société nouvelle qui poussait de tous côtés ses
vigoureuses racines. Le principe de la liberté de conscience, pierre
angulaire sur laquelle repose la vraie grandeur des nations, leur était cher.
Dans les villes où ils étaient les maître, ils acceptaient l'église du
chrétien et la synagogue du juif."
Et d'ajouter un peu plus loin :
"Du VIIIe au XVe siècles, se construira et se développera la plus belle et
la plus opulente civilisation qu'il y ait eu en Europe durant le Moyen Age.
Tandis que les peuples du Nord se décimaient par des guerres religieuses et
se comportaient en tribus barbares, la population de l'Espagne s'élevait à
plus de trente millions d'habitants, et dans cette multitude d'hommes se
confondaient et s'agitaient toutes les races et toutes les croyances, avec
une variété infinie d'où résultaient les plus puissantes pulsations sociales
(…). Dans ce fécond amalgame de peuples et de races coexistaient toutes les
idées, toutes les coutumes, toutes les découvertes accomplies jusqu'alors
sur terre, tous les arts, toutes les sciences, toutes les industries, toutes
les inventions, toutes les disciplines anciennes; et du choc de ces éléments
divers jaillissaient de nouvelles découvertes et de nouvelles énergies
créatrices. La soie, le coton, le café, le citron, l'orange, la grenade
arrivaient de l'Orient avec ces étrangers, comme aussi les tapis, les tissus,
les métaux damasquinés et la poudre. Avec eux encore la numération décimale,
l'algèbre, l'alchimie, la chimie, la médecine, la cosmologie et la poésie
rimée. Les philosophes grecs, près de disparaître, trouvaient le salut en
suivant l'Arabe dans ses conquêtes : Aristote régnait à la fameuse
université de Cordoue… (Dans l'ombre de la cathédrale, pp. 201-204).
Citation un peu longue, mais combien révélatrice, de la part d'un des plus
grands écrivains que l'Espagne ait connu à la fin du XIXe siècle. Citation
qui répond à nombre de données amputées ou altérées, que ce soit dans le
discours du pape ou ailleurs.
L'Islam, en fait, crée une civilisation nouvelle, ayant comme pivot,
l'Unicité de Dieu. Une civilisation où la conception de l'unité, comme acte
d'unification dans tous les domaines, permet de renouveler les cultures
antérieures. Contrairement à la conception dualiste de la culture grecque,
la vision islamique est foncièrement unitaire: le monde sensible n'est
jamais séparé ni de l'intelligible ni de Dieu. C'est pourquoi la science
prend un caractère expérimental, contrairement au caractère spéculatif chez
les grecs. Ce qui permit la création d'une impressionnante quantité de
découvertes, en faisant admirablement le lien entre la Science, la Sagesse
et la Foi.
Ce qui fait dire à Roger Bacon (1220-1292), franciscain, pionnier de la
méthode expérimentale dans les sciences en Europe et surnommé "le Docteur
admirable" indique, dans son "Opus majus", qu'il n'hésite pas à copier des
pages entières d'Ibn Haytham (latinisé en Alhazen), ou de préciser : "La
philosophie est tiré de l'Arabe et aucun Latin ne pourrait comprendre comme
il convient les sagesses et les philosophies s'il ne connaissait pas les
langues dont elles sont traduites".
Est-il besoin de répéter ou de souligner une vérité historique, vécue et
reconnue ? L'Europe n'a connu le patrimoine grec que grâce à l'effort
gigantesque des musulmans, qui ont traduit et développé tous les domaines de
l'héritage grec, et l'héritage grec a été traduit de l'arabe vers le latin.
C'est la présence charnière du huit siècles, qu'une attitude peu voyante et
nullement reconnaissante, essaye d'escamoter... Mais, "Quelle que soit la
façon dont on juge l'influence musulmane, quelques violentes qu'aient été la
réaction contre elle et la façon de s'en débarrasser, on ne peut le nier : "l'Europe
ne serait pas exactement ce qu'elle est si elle n'avait pas connus l'Islam.
Il appartient à son patrimoine", écrit justement Jean-Paul Roux, dans la
préface de L'Islam en Europe.
D'un autre côté, en un temps où l'église romaine imposait l'obscurantisme,
empêchait ses adeptes de lire, brûlait les livres et incendiait les
bibliothèques, ou plus précisément, à une époque où l'Europe ne savait pas
lire, les bibliothèques se multipliaient dans tout le monde arabe. La
bibliothèque d'Al-Aziz, le calife du Caire, comptait un million six cent
mille volumes, dont six mille de mathématiques et dix-huit mille de
philosophie. Celle du calife Al-Ma'moun, intitulée "La Maison de la Sagesse",
rassemblait un million d'ouvrages, outre une centaine de bibliothèques dans
la ville. Pour ne rien dire de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie
incendiée par les prêtres de l'église, bien avant l'arrivée de l'Islam. En
Iraq, la bibliothèque de Nasser Eddin El-Toussi comprenait quatre cent mille
ouvrages. Dans l'Espagne musulmane, la bibliothèque du calife Al-Hakem, à
Cordoue, réunissait quatre cent mille volumes. L'Université musulmane de
Cordoue, au Xe siècle, a rayonné une des plus belles floraisons de la
culture sur trois continents, sous une forme totale, à travers la science,
la sagesse et la foi.
Il n'est pas lieu, dans cet article, de mentionner tous les auteurs arabes
qui fondèrent cette incomparable civilisation, mais citons à titres
d'exemples : Abou Bakr ebn Tofayl (occidentalisé en Abubacer) mort en 1185,
médecin et philosophe. Aboul Qasim al-Zahrawi (Abulcasis) mort en 1010,
médecin et grand chirurgien. Al-Battani (Albatenius) mort en 929, grand
astronome. Abou Ma'shar (Albumasar) mort en 886, considéré comme le plus
grand astrologue. Al-Kindi (Alchindus), mort en 873, considéré comme le père
de la philosophie. Al-Khawarizmi (Alchoarism) mort en 847, fut le premier
musulman à s'occuper d'algèbre. Al-Farghani (Alfraganus), mort en 861, grand
astronome. Al-Ghazali (Algazel) mort en 1111, philosophe et théologien. Al-Razi
(Rhazès), mort en 865, grand médecin, surnommé "le Galien arabe". Al-Bytrugi
(Alpetragius), mort en 1204, philosophe et astronome. Al-Farabi (Alpharabius),
mort en 950, philosophe et musicien, écrivit plusieurs traités sur la
théorie mathématique de la musique et des instruments musicaux. Ibn Bagah (Avempace),
mort en 1138, médecin et philosophe. Al-Zarqali (Azarkiel) grand astronome
d'Espagne, connu pour ses tables astronomiques dites : Tabulae Toletanae.
Pour ne rien dire d'Ibn Rushd (Avéroès), mort en 1198, et Ibn Sina (Avicenne),
mort en 1037, tout deux grands médecins et philosophes.
Est-il besoin d'ajouter que les œuvres de tous ces philosophes, ces savants
et ces hommes de sciences ont été traduits en latins, étaient étudiés en
Europe jusqu'au XVIIIe et XIXe siècle, furent à l'origine de la plupart des
découvertes et exercèrent une grande influence sur les sciences latines et
byzantines ?!
Avant de passer au domaine du spirituel, on ne peut s'empêcher d'attirer
l'attention sur cette attitude peu probe de latiniser tous les noms propres
musulmans, afin d'éradiquer toute relation de l'Europe avec l'Islam ou de
biffer tout ce que l'Europe doit à l'Islam et aux musulmans. N'est-il pas
temps de les transcrire phonétiquement comme on les prononce ? N'est-il pas
temps de rendre à tous ces savants, qui formèrent une des plus brillante
civilisation de l'histoire, fondatrice de l'Europe, leur identité islamique
dérobée le long des siècles, à commencer par le nom de Mohammad, distordu en
Mahomet ? "L'injustice, écrit Ibn Khaldoun dans sa fameuse Moukaddima,
détruit la civilisation".
Il serait peut-être utile de rappeler qu'avant l'arrivée de l'islam,
l'Espagne était un pays occupé par les Wisigoths depuis plus de deux siècles.
Ils étaient des occupants, qui exploitaient le pays en s'emparant des deux
tiers de la terre, et exerçaient une incessante persécution. Le code
Justinien définissant la propriété comme "un droit d'user et d'abuser" (jus
utendi et abutendi).
Dans le domaine spirituel, signalons qu'en Andalousie, l'opposition entre le
monothéisme et le polythéisme était fort antérieure, non seulement à la
pénétration de l'Islam, mais aux controverses entre chrétiens trinitaires,
divinisant Jésus, et adeptes d'Arius, refusant cette "consubstantialité". Le
Concile de Nicée, en 325, avait divisé les chrétiens, en condamnant Arius,
qui refusait la déification de Jésus, comme le sera Nestorius, un siècle
plus tard, qui refusait le dogme de la Passion et refusait que la Vierge
portât le nom de "Mère de Dieu". Ces condamnations n'empêchèrent point
l'expansion des deux courants, et surtout celle de l'Arianisme, qui se
propagea en Europe et continue d'ailleurs jusqu'à nos jours quoiqu'en
sourdine; alors que le nestorianisme se propagea en Perse. Il ne serait
peut-être pas hors sujet de rappeler que l'arianisme, tenant essentiellement
à l'Unicité de Dieu, était la raison pour laquelle Cathares, Bogomiles,
Templiers et autres ont été éradiquées de sur la terre !
Il n'est pas question de signaler, ici, le nombre de sectes ou "d'hérésies"
qu'a connu le Christianisme primitif durant les premiers siècles. Il suffit
de rappeler que Jean Damascène, dans la première moitié du huitième siècle,
dans son ouvrage intitulé "De haeresibus", parle de cent hérésies, et traite
l'Islam, qu'il place le dernier en nombre, comme une hérésie chrétienne
proche d'Arius !
Un siècle plus tard, la "Chronographie de Théophane" apporta à l'Occident
des informations au sujet de l'Islam et du prophète Mohammad en particulier
: "Par ce texte, écrit Philippe Sénac, l'on apprit qu'en l'année 622 était
mort un faux prophète issu de la famille d'Ismaël" (L'Image de l'autre, p.
30)... Monseigneur Duchêne, dans ses études sur la situation des églises au
VIIe siècle, cite Michel le Syrien qui apprécie en ces termes la pénétration
des musulmans : "... le Dieu des vengeance… voyant la méchanceté des Romains
qui, partout où ils dominaient, pillaient cruellement nos églises et nos
monastères et nous condamnaient sans pitié, amena du Sud les fils d'Ismaël
pour nous délivrer par eux." (R. Garaudy, L'Islam vivant, p. 15). C'est dans
un contexte agité entre sectes et églises, chrétiennes, que l'anglais John
Wycliffe (1324-1384) clamait tout haut, ce que beaucoup de chrétiens
pensaient tout bas. Classé comme hérétique par l'église, car il refusait les
dîmes, les bénéfices ecclésiastiques et les offrandes imposées, soulignait
l'inutilité du pape, des évêques et du clergé en général, et trouvait que
l'église tout entière était dans l'erreur. "Pour accréditer cette opinion,
écrit Philippe Sénac, il élargit le débat en faisant références à d'autres
sectes, à l'Islam en particuliers. Nous sommes les Mahomets de l'Occident,
affirmait-il, car pour lui rien ne différenciait vraiment l'Islam de
l'Eglise européenne." (L'Image de l'autre, p. 141). Ressemblance qu'il
trouvait surtout dans une église qui refuse la déification de Jésus…
Citations que nous relevons pour montrer que durant le Moyen Age, il était
partout connu encore, que les musulmans sont les descendants d'Ismaël, le
fils aîné d'Abraham… Un nom que l'Eglise a intentionnellement éliminé, non
seulement de ses textes, mais surtout dans cette fameuse déclaration
intitulée "Nostra Aetate", formulée à Vatican II, que l'ont affiche, tel un
mot de passe, chaque fois qu'il est question des relations de l'église avec
l'Islam. Lire les travaux de rédaction de ce texte, écrit par le père R.
Caspar (pp. 201-236) dans le livre intitulé "L'Eglise et les relations non
chrétiennes" révèle à quel point le manque de probité historique était
prioritaire pour éloigner toute parenté avec Abraham ou Ismaël, son fils
aîné, et tout lien des musulmans avec le monothéisme !
En Espagne, où l'arianisme était en expansion, jusqu'à un siècle et demi
après l'arrivée de l'Islam, toutes les polémiques des théologiens chrétiens
n'avaient affaire qu'avec l'arianisme. Aucun théologien ne discute de
l'Islam qui, à leur avis, ne fait qu'un avec l'arianisme. C'est pourquoi, du
point de vue spirituel, face à deux empires en décadence sociale et
spirituelle, l'Islam n'apparaît pas comme une religion nouvelle se
substituant à une foi antérieure. Il est accueilli avec enthousiasme par des
peuples en qui la foi ancienne, le christianisme, et les massacres inouïs
commis par ses institutions, cessent de donner une âme à leur vie. L'Islam
constitue, pour ces peuples, un réveil religieux qui donne une vie nouvelle
à leur religiosité. C'est ce qui explique et justifie, en même temps,
pourquoi tous ces différents peuples, de l'Indus jusqu'en Espagne, en
passant par tout le Midi de l'Europe, accueillaient les musulmans en
libérateurs, en hommes de foi, qui respectent celle des autres et la
raniment à la lumière de l'Islam.
Il ne serait donc point superflu de préciser que si le Christianisme a
contribué à constituer l'identité européenne, c'est incontestablement grâce
à l'apport de l'Islam et des musulmans que cela a pu être réalisé.
En terminant ce bref commentaire au discours de Benoît XVI, je ne peux que
lui dire, avec tout le respect qui lui est dû :
Vénérable Père, quand on occupe un poste aussi altissime et absolu que le
vôtre, équité exige une probité sans faille : Extirper huit siècles de la
présence fondatrice de l'Islam en Europe, veut non seulement dire amputer
une tranche essentielle du patrimoine européen, mais contredit la marche de
l'Histoire humaine, et contredit même les textes bibliques. Textes qui
prouvent encore, en dépit des remaniements tant de fois opérés, la place
magistrale d'Ismaël, fils aîné d'Abraham, et son fils Kedar, l'ancêtre du
prophète Mohammad. Extirper huit siècles du patrimoine européen veut dire
carrément commettre une contrefaçon historique et spirituelle.
Une brève récapitulation de l'histoire biblique démontre que Saraï (Gen.16 :
3) donna sa servante "pour épouse à son mari". Epouse, et non concubine : un
prophète ne commet point d'adultère. L'Alliance, c'est-à-dire la
circoncision, eut lieu entre Dieu et Abraham (Gen. 17: 1-27), alors
qu'Ismaël avait 13 ans, et fut circoncis, un an avant la naissance d'Isaac.
Le droit d'aînesse (Deut. 21: 15-17) accorde au fils aîné une double part de
tout ce que le père possède : "Si un homme a deux femmes, l'une qu'il aime
et l'autre qu'il n'aime pas, et que la femme aimée et l'autre lui donnent
des fils, s'il arrive que l'aîné soit de la femme qu'il n'aime pas, cet
homme ne pourra pas, le jour où il attribuera ses biens à ses fils, traiter
en aîné le fils de la femme qu'il aime, au détriment du fils de la femme
qu'il n'aime pas, l'aîné véritable. Mais il reconnaîtra l'aîné dans le fils
de celle-ci, en lui donnant double part de tout ce qu'il possède : car ce
fils, prémices de sa vigueur, détient le droit d'aînesse". La descendance
d'Ismaël se trouve en détails (Gen. 25 :12-16). Et à la mort d'Abraham (Gen.
25: 9), " Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent dans la grotte de
Makpéla" … L'altération des textes n'est pas la faute des musulmans, à
commencer par cette toute dernière citation, où le nom d'Isaac a précédé
celui d'Ismaël pour le doter injustement du droit d'aînesse !
Là je me permets d'ajouter : au lieu de continuer à maintenir ce rôle
d'annihilation, qui se mène depuis des siècles à l'égard de l'Islam et des
musulmans, n'est-il pas plus humain, voire beaucoup plus correcte, du point
de vue historique et spirituel, de faire le même geste comme vous, en tant
qu'Eglise, avez déjà fait en réhabilitant les juifs du meurtre déicide ?
Vous avez déjà pu courageusement surmonter deux mille ans d'animosités, même
au détriment des textes sacrés et leurs centaines d'accusations claires et
nettes. N'est-il pas temps de faire le même geste conciliateur avec les
musulmans, qui ne cessent d'être traqués, rien que parce qu'ils tiennent au
vrai monothéisme, tel qu'il a été révélé, et à la transcendante Unicité de
Dieu ?!
Si nous faisons table rase de tous les détails, pour voir à vol d'oiseau
l'histoire du monothéisme, qu'en ressortira-il ? Il fut d'abord révélé à
Moïse, en tant que prophète, puis, quand les juifs dévièrent du droit
chemin, tuèrent les prophètes sans juste raison, Jésus, en tant que
prophète, a été envoyé aux brebis égarées d'Israël pour les ramener vers le
chemin de la droiture, et non pour évangéliser le monde ! Quand les
chrétiens dévièrent du droit chemin, en déifiant Jésus, trois siècles après
son départ et en formulant des dogmes qu'il n'a point prononcés, Mohammad,
en tant que prophète, a été envoyé avec la Révélation du Qur'âne. Un texte
qui n'a point subi de modifications, mais qui dénonce toutes sortes de
manipulations effectuées dans les deux précédents messages du Monothéisme.
Et là réside, hélas, la vraie cause pour laquelle Islam et musulmans ont été
mis à l'index.
N'est-il pas temps d'écarter "ce rideau d'injustice", comme vous l'avez
fait, avec les deux poumons du christianisme, pour réunir la famille
d'Abraham, au lieu de continuer à écarter les enfants d'Ismaël ?! Oui,
Vénérable père, nous sommes tous cousins. Et il vous incombe de les
réconcilier sans animosité et sans contrainte… La religion étant pour Dieu,
la terre est pour tout le monde, quelle que soit la croyance de ses
habitants. Nulle contrainte en la religion, croira qui voudra et mécroira
qui voudra, précise le Qur'âne.
Au lieu de cette volonté de fer pour évangéliser le monde, au lieu de
présenter l'aide d'une main, à tous ces déshérités du tiers-monde, et
imposer baptême et conversion de l'autre, n'est-il pas temps de pratiquer
une vraie tolérance ?!
Ce n'est pas en faisant des projections de tous les revers qu'a connus le
Christianisme, sur l'Islam et les musulmans, en reformulant faussement
l'histoire et la religion, en exterminant les musulmans ou en évangélisant
toute la terre que le monde va s'améliorer, mais en pratiquant la Tolérance,
l'Equité et le chemin de la Droiture. C'est ce qui vous incombe à faire avec
un humanisme digne du poste que vous présidez.